Le VTT pour les nuls : le retour !

Le VTT vu par une néophyte. Seconde édition.

Après le célèbre VTT pour les nuls de la non moins connue Isabelle Saillot (donc [ex] débutante en VTT mais déjà passionnée) voici sa deuxième mouture, orientée TS (prononcez Tout Suspendu)...

Quand je pense qu’il y a des gens qui aiment chercher leurs racines… moi j’avoue que j’ai du mal à comprendre. Surtout quand les racines en question font 20 centimètres de haut et autant de large, superbement érigées sur le plat d’une terre bien tassée, comme le menhir de l’Odyssée de l’Espace dressé sur la Place de la Concorde un jour qu’elle a envoyé son Obélisque en congé.
Giant AC Team Alors là vous êtes en train de suivre un petit chemin sympa sur votre beau VTT. Tout d’un coup vous voyez la racine apparaître, sans même l’avoir cherchée une seconde. Elle est là, et en plus elle approche : les racines, il n’y a pas besoin de les chercher, ce sont elles qui vous trouvent. En fait on dirait même qu’elles ont l’initiative de vous chercher, par une sorte de volonté « radicale » que la psychologie botanique (trop peu développée de nos jours) aurait grand intérêt à questionner à court terme. La racine se rapproche de vous avec obstination. Vous vous préparez psychologiquement, les 2 à 10 secondes qui vous restent. Et ça y est, elle est là, elle est sur vous !
D’un coup votre roue avant décolle du plancher des vaches, propulsée comme par le Génie en Chef de la Foire du Trône dans son jour de meilleure forme, vous vous retrouvez en wheeling non planifié whaoooo ! Le temps que vous commenciez à peine à vous formuler intérieurement l’interjection maladroite « oh ben finalement ça va », votre selle vous satellise d’un coup en orbite interplanétaire dans un choc propulsif strictement vertical à 4G d’accélération, que les astronautes de la Nasa les mieux entraînés ne renieraient pas comme épreuve ultime à leur exercice d’endurance préparatoire au décollage d’Endeavour en situation critique. Dans le même temps, votre roue avant s’écrase au sol dans une force décuplée par l’effet de bascule, un effet physique très intéressant d’ailleurs, à ne pas confondre avec l’effet de levier, qui explique qu’une pièce de monnaie tournoyant sur une table possède une accélération supérieure à celle de la gravité terrestre. À cet instant, l’intégrité de votre colonne vertébrale se transforme irréversiblement en doux souvenir de jeunesse révolue, dans la proportion que vos 80% d’apophyses ont définitivement éjecté leur cartilage articulaire vers les côtes ou l’épigastre inférieur, ces substances cartilagineuses étant particulièrement peu casanières, ne cherchant habituellement qu’à se barrer, ce qui explique que la totalité des cartilages vertébraux humains cotisent actuellement à l’A.I.P.R (Association Internationale pour la Préservation des Racines).
Mais les hommes ont plus de ressources que leurs cartilages dissidents. En effet, après avoir effectué en moyenne 57 000 kilomètres de racines, la psychologie humaine reprend très rapidement ses droits sur la psychologie botanique et là nous vient en mémoire que pour un investissement de 100 euros, ruineux certes, on vend un peu partout des VTT « tout suspendus » (dites « TS » en face d’un pro). Mais devant l’irrémédiable gouffre financier du projet et l’angoisse légitime qui s’empare de vous à l’idée de vous ruiner par emprunt sur 10 ans à 16% d’intérêts annuels, vous entreprenez une grande campagne de demande de conseils. 3 cibles vous semblent pertinentes pour en savoir un peu plus sur ces fameux TS, les zamizavisés, un vendeurs de TS en personne, et l’ami pro.

Pivot CannondaleVous demandez à quelques zamizavisés. Hélas vous constatez vite fait que la plupart ne fait pas la différence entre un TS et un percolateur à induit bobiné, pire, entre un vélo et un VTT. Le marketting aidant, vélo est tout simplement devenu synonyme de VTT, pour le grand public. Ils vous répondent que c’est une bonne idée d’acheter un vélo, quoique ce soit un peu bizarre étant donné que vous en avez déjà un. Sans vous le dire par politesse, ils commencent à penser que vous envisagez de faire une collection de vélos. Vous zappez.

Vous demandez à un vendeur de TS. Vous commencez à peine à frétiller de la mandibule que le couperet tombe comme en 89 (1700 bien sûr) : « mais qu’est-ce que vous comptez faire avec ce vélo ? » - « et bien faxer mon relevé de compte et accessoirement faire rissoler des pommes dauphines ». Non mais là heureusement, vous vous êtes retenu(e) à temps. Vous bredouillez donc, en gardant héroïquement votre calme, que vous souhaitez faire des chemins, des parcours VTT. Alors là le vendeur est formel, le TS n’a aucun intérêt. Il est plus cher que le rigide, étant plus lourd il vous fatiguera plus vite, et en outre, ne vous apportera aucun confort supplémentaire. Il faut réserver le TS à la compétition internationale de descente ou aux sélections olympiques sur reliefs alpins. Tandis que le vendeur vous parle, son visage devient flou… il se déforme…. il devient sans cesse plus marron… plus allongé, puis il se couche… Soudain, c’est l’horreur… vous avez sous les yeux une Grosse Racine Parlante. Dans un tressaillement salutaire, vous fermez les yeux et les oreilles et fuyez toutes jambes à votre cou vers la sortie du magasin, évitant de justesse l’accident psychiatrique irréversible.

Reste donc votre ami pro, rompu à la pratique de l’engin diabolique. Lui au moins, il vous connaît bien, il sait déjà que vous ne comptez pas graver Elton John avec votre vélo, mais faire tranquillement les p’tits parcours VTT référencés par la FFCT, ce qui aura au moins l’avantage de vous éviter judicieusement la question la plus exaspérante que les Master Européens en Force de Vente aient jamais conçue. Hélas, hélas, trois fois hélas, l’avis, pour être autorisé, n’est guère plus favorable. Les TS à 100 euros, vous explique votre ami, ne sont pas des TS. Et non ! (qui l’eu cru !?). Ce sont des sortes de pales imitations pour néophytes crédules, des pièges à nigaud pour consommateurs naïfs, des attrapes couillons du porte-monnaie facile. En effet, poursuit-il en vous montrant son engin à 4 000 euros, sur ces modèles bas de gamme la selle n’est pas suspendue, puisque l’axe des pédales est intégré au cadre, court-circuitant l’amortisseur arrière. Quand à la fourche avant, elle est d’une qualité si douteuse qu’il vous dispense de commentaire pour rester poli. Le verdict est donc soit d’acheter un semi suspendu de bonne qualité (fourche avant seulement), soit d’allonger 3 fois la mise (environ 350 euros) pour obtenir le premier « vrai » TS de la gamme, qui en outre sera encore bien médiocre.

Vous retournez chez vous tout désespéré et vous dites que finalement vous vous êtes peut-être trompé et que votre VTT tout rigide n’est pas si mal. Vous reprenez 42 000 kilomètres de racines, pas parlantes celles-là. Malheureusement, ces quelques sorties supplémentaires ont rapidement raison de vos derniers disques vertébraux et de la santé révolue de vos articulations cubitales désormais traumatisées chroniques.

Géométrie cadre TurnerAlors là, contre vents et marées, contre experts et vendeurs, contre amis et famille, veaux, vaches, cochons et autres êtres chers, un beau jour en passant par hasard dans un supermarché, arrive ce qui devait arriver. Vous êtes pris d’un violent TOC (Trouble Obsessionnel Compulsif) avec symptômes dissociatifs et amnésie antérograde. Quand vous revenez à vos esprits, vous vous trouvez en possession, chez vous, d’un superbe « faux TS » à 100 euros, dûment acheté par crédit revolving avec endettement sur 10 ans à 16% annuels.

Le week-end suivant, vous attaquez tout fébrilement un petit coin habituel. Dès les premiers mètres, une première constatation vous interpelle. La forêt a été lissée en votre absence d’une semaine. Ce petit chemin que vous connaissez par cœur, qui vous mettait dans l’ambiance en 2 minutes, il a été tout aplati !!! Si si !! C’est pu du vélo, c’est du vol à voile, vous survolez littéralement le terrain, comme si les roues ne le touchaient pas. Vos cartilages dissidents crient au scandale, implorent les racines regrettées, tandis que ce qu’il vous reste de colonne vertébrale entreprend une grande ovation mystique au Bon Dieu des squelettes pas encore décharnés. Bref, la différence n’est pas sensible, elle est fulgurante. Toutes vos sensations de « vététistes » presque chevronné sont modifiées, le vélo glisse comme sur de l’asphalte. Étrange, même : « flap flap », le petit bruit si caractéristique de vos virées antérieurs, a disparu. Vous êtes moins contracté musculairement, moins sous pression psychologiquement, votre regard est moins rivé au sol pour éviter le moindre caillou. Vous pouvez conjuguer d’avancer à meilleure allure qu’auparavant, tout en profitant mieux du paysage. Votre petit « TS » à 100 euros vous réapprend le vélo comme vous ne l’auriez même pas cru possible.

Il vous revient alors à l’esprit certains des commentaires qu’on vous avait faits. D’abord, le TS n’a pas été tellement plus cher qu’un rigide de même catégorie. Le prix du TS de base en promo style vacances d’été correspond au prix catalogue du rigide de base. Hors promos, compter 50 euros de différence, ce qui n’est pas la mer à boire, ou plutôt, la racine à avaler. Ensuite, on vous avait juré que la différence de confort et de sensations avec un rigide serait minime avec un TS de si mauvaise qualité. Que nenni !! Elle est tout à fait flagrante, et dès les premiers mètres. C’est là qu’il vous revient à l’esprit cette histoire de selle pas suspendue. Étant donné que l’axe du pédalier est intégré « rigidement » au cadre, en fait ce sont les pédales qui ne sont pas suspendues, non la selle ! Faites l’expérience : roulez sur des aspérités bien collé à votre selle, l’amortissement est indéniable. Prenez maintenant les mêmes, mais en danseuse, là effectivement tous les chocs se retrouvent comme avec votre rigide, dans vos jambes. Conclusion : le TS bas de gamme est suspendu au moins tant que vous ne quittez pas votre selle. Pour une utilisation amateur sans prétention, ça représente 98% de votre temps de parcours à chaque sortie.

Géométrie CannondaleDeux heures après, le même. On vous avait dit que la fatigue viendrait plus vite, en raison des 2 à 3kg supplémentaires. Vous faites un effort consciencieux et vous êtes bien obligé de constater que vous n’avez nullement ressenti ni aucune fatigue supplémentaire sur ce parcours que vous connaissez bien avec votre ancien rigide, ni aucune différence de poids perceptible par vos sens. Comme les mentionnait le vendeur, les champions d’Europe de descente font peut-être tellement bloc avec leur machine qu’ils en perçoivent la moindre micro-modification, mais vous ? Il suffit que vous ayez oublié votre bouteille d’eau pour récupérer les 1,5 kg qui compensent intégralement le surpoids du TS, ou que vous ayez pris votre EOS 1D Mark II avec le 28-300 stabilisé pour que la surcharge totale soit deux fois plus importante que sur le rigide ! Au bout de deux heures de balade, vos épaules munies de votre sac à dos sentiront peut-être la différence dans un sens ou dans l’autre, mais pas vos jambes, le vélo n’est pas en cause. Pour prendre un poids moyen, vos jambes propulsent 70 à 90 kilos lors d’une balade. Une différence de 3 kg représente 4% de cette masse. Aucun amateur ne peut ressentir une surcharge si infime, ni en confort instantané, ni en endurance. Ça me fait penser à une remarque de mon regretté papa qui m’a tracassée pendant des années. Il s’insurgeait qu’on vende le papier au prix du gigot !! Mais oui, réfléchissez un instant. Que fait le boucher pour peser votre gigot à 15 euros le kilo ? Il le pose sur la balance avec un papier en dessous, il prend le poids, donc le prix correspondant, ensuite de quoi il referme le papier et vous donne le tout. Le poids du papier s’est donc intuitivement ajouté à celui du gigot, au même prix au kilo. Et bien non, c’est faux : le poids du papier est trop petit pour être perçu par la balance. Demandez à votre boucher de repeser le gigot sans le papier en dessous : le poids affiché, et donc le prix, sera exactement le même qu’avec le papier. La balance n’a pas perçu le papier, qui était trop léger pour elle. Si les bouchers disposaient de balances de chimistes précises au micro-gramme, mon papa aurait eu raison. Et bien pour le TS c’est pareil. Il y a une différence de poids, certes, mais elle est trop petite pour être perçue par l’amateur, et entrer en compte dans son confort et son endurance.

Après ces considérations quantitativo-physiologiques d’un intérêt modique, hélas tant rabâchées par les vendeurs, il semble bien plus judicieux de considérer le facteur psychologique : hors des cas pathologiques, la fatigue est un sentiment qui survient en proportion de l’intérêt et du plaisir que vous portez à votre activité. Or, le TS de base, tout médiocre soit-il, vous apporte plus de confort, de sérénité et de disponibilité pour profiter des paysages, que le rigide. Résultat, tout au contraire de ce dont on vous a menacé, vous vous sentez bien moins fatigué après un temps de parcours équivalent à avoir été détendu et abreuvé des belles vues que vous loupiez en rigide.

De plus, vous ne gagnez pas qu’en confort. Le « flap flap », qui avouons-le, vous manque même un peu au début, est vite diagnostiqué : il provenait de la réception des roues au sol à chaque fois que l’une d’elles avait subi un mini décollage par franchissement d’un obstacle, occasionnant autant de micro-chocs à votre colonne vertébrale. Sur le TS, il a disparu parce que c’est vos amortisseurs qui absorbent le choc. Ça signifie que votre rigide perdait l’adhérence 1 fois par seconde, et que les roues de votre TS restent imperturbablement en contact avec le sol. C’est un gain majeur en sécurité dans les virages.

Les textes qui sont de longues plaintes peuvent se terminer par une note d’optimisme. Celui-ci qui est une longue louange s’offrira le luxe de terminer sur une nuance réservée. Gagnant sur tous les plans du confort et de la sécurité, le TS à 100 euros présente deux handicaps : le premier est qu’il est à taille unique, et plutôt petite. Si vous faites plus de 1m70, pas la peine d’y penser. Alors il faut investir dans la catégorie au dessus, qui présentera au moins 3 tailles adultes. Ensuite, la solidité n’est pas forcément au rendez-vous. Le dérailleur se dérègle, les V-Brakes se bloquent. Le matériel a été vendu mal réglé. Sans avoir nécessairement besoin de racheter des pièces, vous êtes bon, au moins, pour bricoler un peu. Est-ce bien un handicap ? Ceux qui achètent du meilleur matériel, de toute façon, le bricolent par plaisir ! Bonne balade !!!

I. Saillot, septembre 2005

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